S’il y a bien quelque chose que j’ai appris ces dernières années, c’est à quel point la notion d’échec est ancrée dans notre éducation. Rater, changer d’avis, ne pas savoir n’est pas une option. On nous apprend à savoir ce que l’on veut faire à 16 ans, à avoir une mention à 18, se marier le plus rapidement possible et surtout faire des enfants, parce que oui, il faut faire des enfants !! L’amour n’est envisagé que pour la vie « jusqu’à ce que la mort nous sépare » mais la rareté des parents encore ensemble se comptent sur les doigts d’une main. Schéma répétitif, tromperie, erreur de jeunesse, c’est fou comme je n’ai jamais entendu un divorce comme une bonne nouvelle, c’est un échec. Mauvais casting, raisons diverses, peu importe les raisons, se séparer c’est avouer que l’on n’a pas assuré. Fin de la partie.
Mais, je me disais quelque chose, aujourd’hui la seconde main n’a jamais été aussi plébiscitée, le vintage, le refaire, le donner pour revivre… Tout ce qui peut être réutilisé est une preuve d’engagement. C’est écologique, c’est une passion pour certains, un vrai commerce pour d’autres. Bref, on parle bien ici de secondes chances. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les relations ? Pourquoi ne pas admettre que nous avons aimé quelqu’un un temps et qu’à un autre moment il ne nous convient plus ? Pourquoi se forcer à garder quelque chose qui nous encombre, nous étouffe et nous empêche d’aller de l’avant ? Pourquoi ne sommes-nous pas fiers de faire le choix d’une meilleure vie ? Ok, toutes les séparations ne sont pas roses, tout le monde n’a pas droit à la « décision commune » mais je me posais la question, malgré tous les dommages collatéraux (la souffrance, les enfants, les qu’en dira-t-on) est-ce que recommencer c’est pas le pied ?
Pour en parler, j’ai rencontré Heather Barksdale, styliste américaine de 47 ans, mère de deux filles et divorcée après 16 ans de vie commune. Je l’ai rencontré au travail et j’ai toujours admiré l’aplomb qu’elle dégageait, son style assumé et bien à elle, son sourire toujours présent, le côté « I don’t give a shit » caché derrière une apparence enfant de choeur. C’est elle qui m’a convaincu que parfois dire stop, c’est le début de quelque chose de bien plus grand et qu’une fois que l’on a choisi de ne plus subir c’est incroyablement bon la liberté que l’on ressent.
_ D'où viens-tu, dans quel environnement as-tu grandi ?
Je suis née et ai grandi dans le Missouri, un état central aux États-Unis. Mes parents étaient très jeunes quand ils m’ont eu donc mon enfance était quelque peu différente ! Je me rappelle d’eux jeunes, un peu fous, faisant des conneries avec leurs amis, clairement pas un modèle classique.
Je suis l’ainée et pourtant j’ai toujours été une solitaire, je passais beaucoup de temps seule, dans la nature, ou en train de faire des choses créatives, je souhaitais créer mon propre univers indépendamment de ma famille. Je suis devenue très rapidement adulte au divorce de mes parents, ça vous responsabilise.
_ Est-ce que tu ressentais la pression check-list ? Mari, enfants et home sweet home ?
Non pas vraiment, en tout cas pas de la part de mes parents. Je me souviens à quel point c’était difficile pour eux, pour mon frère et moi cette nouvelle vie séparés. Plus personnellement, j’ai toujours été en couple. Depuis mes 18 ans, j’ai enchaîné les relations et le mariage était quelque chose de très présent dans la société à cette époque. Toutes mes amies y pensaient, moi aussi finalement. Se marier c’était surtout l’idée d’officialiser, de valoriser la relation sinon on se disait que l’homme jouait avec nous. Une pensée très américaine des années 2000 peut-être ?
_ Peux-tu nous raconter ton histoire avec ton ex-mari ?
Nous nous sommes connus à New York, le cliché du photographe et de la styliste mode. Malgré des cultures très différentes (il est italien), nous partagions beaucoup de points communs. Les arts, la curiosité de tout comprendre, tout apprendre, la créativité, découvrir les autres cultures en voyageant partout dans le monde. Nous étions très spontanés et indépendants lui et moi et avions envie de vivre en Europe. En 2008, nous l’avons fait et c’était réellement une tout autre vie. Je me suis sentie perdue pendant un bon moment, car j’étais dans un pays que je ne connaissais pas, je ne parlais pas la langue, mais le travail est venu équilibrer tout ça. Au bout de 8 ans de relation, nous nous sommes mariés (j’ai mis beaucoup de temps à obtenir un visa et je lui ai mis beaucoup de pression pour le faire !).
Se marier était pour moi comme une sécurité plus qu’un sens romantique des choses. Nous avons eu 2 filles, le plus cadeau de ma vie, mais aussi le plus grand challenge. Elles m’ont poussé à faire un travail sur moi-même et à faire les bons choix. Lorsque l’on devient mère, nous ne sommes plus le centre du monde ! Leur bonheur était ma priorité.
_ Comment ta séparation a été perçue par ton entourage ?
Je pense que comme pour chaque famille, l’instinct de protection l’a emporté. Défendre les nôtres, ne pas mettre tout le monde d’accord, mais finalement notre séparation a été plutôt bien acceptée car il y avait déjà eu pas mal de divorces dans ma famille. Le fait est que mon ex-mari restera pour toujours le père de mes enfants et que nous serons liés à vie.
_ Comment tes filles ont vécu ton divorce ?
Elles étaient vraiment petites quand nous nous sommes séparés et comme chaque enfant, elles se sont adaptées. Elles ressentaient réellement le stress dans notre couple, je crois que c’est le plus dur lorsque l’on est parent, savoir protéger ce que l’on ressent en tant que femme et ce que l’on donne en tant que mère. C’était un chamboulement évidemment, car nous avons déménagé dans une autre ville ce qui sous-entendait nouvelle école, nouveau rythme, nouveau tout. Mais, nous évoluons à une époque où beaucoup de parents sont séparés, isolés, les filles ont très vite trouvé des amies dans la même situation, ce n’était donc plus bizarre ou différenciant pour elles.
_ Comment toi l’as-tu vécu ?
Malgré un choix commun, le divorce a été particulièrement difficile. Nous avons essayé de nous séparer le plus amicalement possible, mais ce n’est pas toujours évident. Avec le recul, je ne regrette absolument pas cette décision.
_ Une chose que tu en retires ?
Il ne faut pas avoir honte si un mariage ne dure pas.
Ne pas se marier avec quelqu’un avec qui l’on ne veut pas se marier.
_ Si tu devais donner un conseil au toi d’il y a quelques années, tu dirais quoi ?
Je me dirais que je suis tout à faire capable de faire tout ce que je souhaite dans la vie. De ne plus me soucier de ce que pensent les autres, d’évoluer sans égo, car la seule personne finalement que l’on peut changer c’est soi-même. La chose la plus importante est de se tourner vers soi, vers son développement personnel, spirituel, psychologique. Sans nous-même, nous ne sommes rien.
_ Comment envisages-tu l’amour désormais ?
Je suis amoureuse aujourd’hui mais d’une manière complètement différente. Je me sens pleinement indépendante, je dis ce que je pense, les vérités même quand elles fâchent, je n’ai plus peur d’aborder les sujets inconfortables… Ça, c’est une vraie libération pour moi qui est arrivée avec la quarantaine ! Je vois le mariage différemment aussi. Je me suis rendu compte lorsque j’ai signé les papiers du divorce, que le mariage était pareil, un morceau de papier que l’on a signé… Ça a tout changé dans ma tête et surtout l’importance que l’on donne à cette tradition, je ne suis pas sûre de me marier à nouveau un jour. Mais, malgré tout ça, ce que je retiens ce sont les voeux. Après tout, l’engagement, c’est essentiellement une promesse que l’on se fait l’un à l’autre.
Comme beaucoup, l’agité l’aura emporté sur le passionné et j’ai senti la peine qu’elle a vécu en abordant le sujet. La dureté aussi de cette décision, d’assumer la suite avec deux filles. Que vont-elles penser ? Comment vont-elles le vivre ? Leur équilibre dans tout ça ? Parce qu’aimer ce n’est pas que deux personnes comme on nous le rabâche, c’est aussi et surtout tout ce qui l’entoure. La famille, les amis, ce que l’on va en penser… Finalement le mal que ça nous fait à nous ou peut-être même bien la libération que l’on va retrouver importe peu. La relation ne nous appartient pas vraiment, elle est d’ordre public. Pourtant, quand je lui ai demandé si elle regrettait son divorce, j’ai vu ses grands yeux s’ouvrir et son souffle me prouver le contraire « la meilleure décision de ma vie » parce que oui partir peut-être la meilleure décision.
Un divorce, une libération, une vie plus libre. Elle est amoureuse, mais ce que j’ai aimé observer, c’est qu’elle a pris ce recul immense. L’amour ne sera plus jamais le même, il ne consommera plus, il ne passera plus en premier. C’est comme si, en quittant, elle s’était choisie.
Je n’ai jamais été mariée, mes parents ne l’étaient pas non plus bien que séparés, mais lire ces quelques lignes m’a conforté dans l’idée que le happy ending comme un couteau sous la gorge n’est certainement pas ce que je souhaite pour ma vie future. Est-ce que vivre des histoires, en tirer le meilleur et fêter chaque nouveau chapitre n’en font pas une issue plus agréable ? Est-ce que pleurer au karaoké avec sa bande de copines et colorier sa robe de mariée n’est pas plus fun que d’en faire un drame ? Parce que ce n’est pas un drame de ne pas passer le restant de ses jours avec une autre personne que soi-même. C'est sacrément bon de se dire que l’on a le choix, que l’on a le luxe de dire non, de recommencer, de tomber amoureux plusieurs fois. De même s’aimer que soi. C’est bon de se dire que le fameux bonheur que l’on entend partout n’est pas une seule ligne d’arrivée à atteindre, qu’il est partout et frappe à notre porte sous plein d’autres formes qu’un mariage. Coincés entre passer sa vie avec quelqu’un et assumer les nouvelles règles de la société actuelles, on ne sait tout simplement plus ce que l’on veut et c’est ok. Peut-être que de ne pas savoir, c’est le début de tous les possibles.
Merci infiniment Jessica ♥️♥️♥️